Agile avec (que) des éxecutants?

Peut-on devenir Agile, viser l’agilité dans une organisation quand la majorité des personnes sont des exécutants et non des développeurs (passifs versus acteurs)

Je souhaite faire les affirmations suivantes pour cadrer le sujet :

  • Dans une entreprise il y a des personnes qui sont acteurs et d’autres qui sont passifs
  • Les personnes passives ne souhaitent pas forcément devenir acteurs (c’est un choix totalement respectable et aucun problème à ce sujet)
  • La philosophie Agile repose sur la notion d’human-centric ET les individus et leurs interactions. Avec cette dernière ligne on a l’apparition (à mon sens) des notions d’autonomie individuelle et de confiance.

Ce que je redoute en mettant en place Agile avec des Exécutants c’est le manque de productivité. Pourquoi cette peur ?

  • un exécutant a besoin qu’on lui découpe le travail
  • un exécutant a besoin qu’on lui donne du travail (pas d’autonomie sur la prise de tâches)
  • un exécutant ne souhaite pas se prendre la tête, il fera la solution 1) qu’il a envisager sans la remettre en question

En soi, la peur principale est qu’une équipe constituée uniquement d’exécutant ne fasse rien, qu’elle ne produise rien dans un contexte Agile.

Ainsi, est-ce qu’il faut abandonner cette vision, cette philosophie Agile quand il n’y a que des exécutants et revenir sur un « management » à l’ancienne avec une sorte de flicage des tâches, un management plus direct (toi tu fais ceci, toi cela, etc …)

Question annexes :

  • Comment une entreprise peut transformer un exécutant en développeur ?
  • Comment gérer une personne qui souhaite rester exécutant ?

Note : ce sujet n’a pas vocation à faire une caste les acteurs contre les passifs, mais juste trouver un compromis pour lier Agile et Productivité. Les 3 affirmations de base peuvent être débattues et je serais curieux d’avoir également un opinion autre afin de faire évoluer le mien.

Quelques remarques :

Si un exécutant a besoin qu’on lui découpe / donne du travail et qu’il n’y a personne qui donne du travail aux exécutants, oui on se dirige tout droit vers l’oisiveté. Cependant, en vrai, personne n’est un « pur » exécutant, et la plupart des gens qui se retrouvent sans rien à faire du tout (je ne parle pas d’une baisse d’activité mais d’une absence totale) vont généralement au moins solliciter leur superviseur. Ensuite ils vont commencer à ressentir les symptômes d’un brownout. En l’absence de réaction appropriée, la situation peut s’aggraver soit en démission, soit en dépression, et dans le pire des cas en suicide. C’est l’exemple France Telecom.

Si on met en place une organisation dans laquelle les exécutants sont abreuvés de tâches à réaliser par des personnes qui n’ont pas les compétences nécessaires (managériales et techniques), alors ça ne peut pas fonctionner non plus. Ce n’est pas lié à une organisation agile ou non, c’est juste incompatible avec la notion d’organisation tout court.

un exécutant a besoin qu’on lui donne du travail (pas d’autonomie sur la prise de tâches)

On peut quand même qualifier d’exécutant une personne qui prend du travail dans une pile déjà ordonnée pour lui. Même si techniquement c’est lui qui prend le travail dans la pile, son travail est organisé par autrui, donc ça reste un exécutant. Bien que ça semble anecdotique, c’est en fait redoutable en terme de productivité. C’est ce qui a permis à Toyota de devenir le premier constructeur automobile au monde.

Comment une entreprise peut transformer un exécutant en développeur ?

Ce n’est pas la bonne question à poser.

Pour simplifier, la transformation agile consiste à adopter un commandement par objectif (voici l’effet souhaité) en lieu et place d’un commandement par ordre (voici la liste des actions à effectuer). Un commandement par objectif place le collaborateur en posture de développeur, alors qu’un commandement par ordre place le collaborateur en posture d’exécutant. Même s’il y a des contre-exemples, c’est généralement l’organisation qui met le collaborateur dans une posture d’exécutant. La bonne question à poser est donc plutôt : « Comment une entreprise peut se transformer pour mettre les collaborateurs en posture de développeurs plutôt que d’exécutants ? ».

Comment gérer une personne qui souhaite rester exécutant ?

Lui donner du travail en cohérence avec ses compétences, dans un environnement sain, et s’interroger sur ses propres croyances et motivations …

Quelques questions complémentaires :

Peut-on employer Scrum avec des exécutants ?

Oui complétement, mais il faut quand même des vrais développeurs à côté. Le premier ajustement, à mon avis, est de sortir les exécutants des réunions Scrum. Sauf peut-être en démo/rétrospective. Il est primordial que le contrôle d’avancement se fasse en dehors des réunions scrum, qui ne sont pas là pour ça, en particulier le daily. Le fonctionnement reste tel qu’indique dans le scrum guide, si ce n’est qu’on n’invite que les devs et non les exécutants. En revanche, ça nécessite que le SM et les devs connaissent très bien les exécutants pour organiser leur travail. C’est souvent là que le bât blesse.

Peut-on faire de l’agile avec des exécutants ?

Comme dit plus haut, schématiquement, l’agilité consiste à adopter un commandement par objectif (voici l’effet souhaité) en lieu et place d’un commandement par ordre (voici la liste des actions à effectuer). Elle repose donc sur l’aptitude des subalternes à savoir comment s’organiser pour obtenir l’effet souhaité, ce qui n’est pas compatible avec une attitude d’exécutant. Cependant, comme c’est surtout l’organisation qui a mis les collaborateurs dans une posture d’exécutants, on devrait plutôt dire que la manière dont on dirige l’équipe détermine si on fait de l’agile ou pas, et si on a des exécutants ou pas. Et qu’on ne peut pas adopter un style de management qui soit à la fois directif et délégatif.

Merci Adrien pour ces paragraphes et l’ensemble des compléments d’informations sur la Philosophie Agile (piloter par les objectifs notamment)

Comment une entreprise peut se transformer pour mettre les collaborateurs en posture de développeurs plutôt que d’exécutants ?

Tu soulignes exactement une question que j’avais fais exprès d’omettre. Selon ton expérience quelles solutions concrètes doivent être mise en place ?

Cependant que se passe-t-il si l’entreprise met en place une approche poussant à une posture de développeur mais que les salariés derrières ne sont pas réceptifs.
Avec le peu d’expérience pro que j’ai, j’ai pu voir que dans les entreprises il y a bien deux types de profils (actifs et passifs); l’entreprise laisse clairement les actifs travailler en autonomie et ne les bride pas, ils deviennent donc acteurs/développeurs du produit MAIS d’un autre côté il faut bien accompagner les autres membres de l’équipe.

Donc si l’entreprise met « tout » en œuvre pour pousser vers une posture de développeur mais que seulement 1 personne sur 10 « accepte » ce changement comment faire avancer le bateau ? En d’autres termes comment manager les 9 personnes restantes.

La question est (encore) mal tournée car l’entreprise devrait viser 10/10 salariés développeurs mais de mon point de vue c’est une utopie

Un bon début serait de former les managers : diriger ça s’apprend, c’est un vrai métier.

La distinction dev/exécutant a un nom dans le droit français : le statut cadre. Il est tout à fait normal de demander à un ouvrier ou technicien d’adopter une posture d’exécutant, c’est l’essence de leur contrat de travail. Il serait même choquant de proposer à un collaborateur de prendre des responsabilités sans lui offrir la formation et le statut associé. Cela s’appelle le respect.

Il y a trois conditions pour qu’un management délégatif fonctionne :

  • Il faut que le management adopte un style délégatif
  • Il faut que le collaborateur soit capable d’atteindre l’objectif fixé
  • Il faut que le collaborateur souhaite atteindre l’objectif fixé

Concernant le premier point, pas mal de chefs adoptent une posture directive et s’étonnent du désinvestissement de leurs subordonnés. A ceux là je dis : TLBM.

Concernant le deuxième point, la solution c’est la formation. Pas nécessairement au sens de « Formation Professionnelle », mais tout moyen permettant au collaborateur de passer d’incapable à capable d’atteindre l’objectif. Malheureusement, là encore, on a pléthore d’exemples d’entreprises qui préfèrent jeter les personnes plutôt que des les recycler. A ceux là je dis également : TLBM.

Le troisième point est le plus complexe. Là il n’existe pas de solution toute faite, il faut vraiment se pencher sur chaque cas. Il y a plein de raisons qui peuvent pousser une personne à ne pas vouloir faire ce qu’on lui demande. Et la plupart du temps ce n’est pas la fameuse « résistance au changement », mais de vraies raisons. A ce moment là, il faut savoir faire preuve d’empathie (et non de sympathie) pour débloquer la situation.

Et on en revient au point de départ : la formation des managers …

Je suis un peu dans le même cas avec ma mission actuelle, donc je comprend ton problème.
Mais j’aborderais plutôt la problématique avec la question : “pourquoi ces personnes adoptent cette posture que tu nommes d’exécutant ?” Ça donne un point de départ à l’accompagnement que tu peux avoir sur l’équipe

Simon Wardley préconise les doctrines « utiliser la méthode adaptée » et « penser aptitude et attitude » (voir Wardley Maps - Chapitre 4).

L’agilité n’est pas applicable partout. Il y a des choses pour lesquelles le Lean est plus approprié, et d’autres le cycle en V et/ou Six-Sigma. Pour initier une innovation, aucune de ces méthodes n’est appropriée. Selon le cycle de vie du produit, selon la complexité (voir Cynefin) il faut savoir donner du sens à son contexte et agir en conséquence. Dans une entreprise résiliente, il faut un minimum de personnes capables d’évoluer dans chaque type de contexte. Simon Wardley distingue les Explorateur⋅ices qui savent initier et concrétiser une innovation, les Villageois⋅es qui savent transformer un prototype en un produit et les Urbanistes qui savent industrialiser un produit existant. Ce qui est génial, c’est qu’il faut tout un chacun pour faire un produit à succès. Une entreprise n’est pas résiliente s’il lui manque certaines de ces compétences. S’il n’y a que des urbanistes (=simples exécutants), l’entreprise encourt le risque de devenir obsolète (cf. Kodak ou Blockbuster). Au cours d’une carrière, une personne peut passer d’un de ces rôles à un autre, nécessitant parfois de la formation et de l’accompagnement. Il faut tout de même respecter l’appétence des personnes.

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